Sénateurs, Patres,
C'est avec un certain soulagement que j'écoute vos propos, il me tardait en effet de voir cesser cette "guerre des chefs" qui secoue notre République. Je me garderais bien de prendre part pour l'un ou l'autre de nos consuls et je reconnais bien volontier qu'ils ont tout deux d'amples qualités et que ni l'un ni l'autre n'a usurpé sa place.
Alors, me direz vous pourquoi venir discuter......air soucieux.....et bien, j'ai beaucoup réflechi avant de prendre ma décision mais j'ai reçu il y a peu un message du consul Dobrasus. Loin de moi de mettre de l'huile sur le feu et de raviver quoi que ce soit, je pense que ce courrier -trés long au demeurant- pourra nous permettre à nous, hommes de Rome de comprendre ce que peut ressentir un homme de terrain....à savoir un consul à la tete de ses troupes.
Je parle d'ailleurs en premier chef pour moi....je n'ai en effet à travers mes multiples magistratures jamais quitté l'urbs et je reconnais volontier mon manque d'expérience en matière militaire. Je suis certain de ne pas être le seul de cette assemblée.
Voilà...je souhaitais donc vous faire partager cet émouvant courier que j'ai reçu.
Prenant une grande inspiration, le Censeur se lance dans la lecture
Censeur Antonicus, en tant que plus haute autorité morale de Rome, je t’adresse ce courrier solennel, que tu auras la discrétion de fournir au sénat, bien que celui ci te soit adressé personnellement, j’y joindrais des informations.
Je viens de recevoir quand j’écris cette lettre un double courrier de Rome, signé du second Consul Flaminius. A en creuser la matière, j’imagine que les débats ont du fusé pour en arriver à une rocambolesque missive, qui dans la minute ou elle m’apprenait un veto consulaire, m’annonçait son retrait.
Censeur Antonicus… je vais te livrer une bien longue confession, dans laquelle mes intentions transparaîtrons, et dans laquelle là où notre sénat voit encore de l’ombre j’apporterai mes éclaircissements.
Mon dernier rapport a été adressé aux tribuns, et je perçois toute la surprise que ce geste de ma part a du créer en relisant cette prose aux accents douteux. Mes enfants, appelle donc d’un qualificatif faussement proche de ces soldats notre consul. Ses enfants, ils sont bien déçu, censeur. Quand dix légionnaires marins se sont vus attribuer la victoire de Croto, nos enfants ont donc grogné, qu’il se l’entende donc dire si un jour vous aurez l’occasion de reparler de cette histoire. Quoi donc de plus naturel pour moi, en apprenant de mes amis a Rome, de parler aux tribuns comme un prolongement naturel de ce que suis venu incarner ici. Je ne suis pas un imperator, censeur, casanier comme nous l’avons tous été pour notre génération de magistrats. Je suis un général que personne n’attendait, aussi le sénat doute, et je l’en conçois. Je ne connais moi même censeur pas ta position sur la question, quand ce veto a du etre, je suppose, débattu ardemment dans notre curie.
Qu’il en soit donc ainsi. Je serais le dernier des arrogants, à espérer que le sénat de débatte pas sur notre sort, surtout quand tu comprendras le fond de ma pensée, censeur.
Pourquoi donc nos troupes ont elles subies le risque d’être bloquées après une victoire…La raison du sénat ne sera jamais la mienne, comme mes raisons de pérorer contre la curie qui espère diriger la campagne n’ont pas lieu d’être. Et pourtant ce sénat n’a pas bloqué la débâcle de Massilia, a réélu un consul qui avait perdu 20 000 de nos « enfants » Censeur, excuse et permet une digression, ce terme d’enfants me fait sourire, amèrement. Ne parlons plus jamais d’enfant en désignant nos soldats. Cette attitude paternaliste me consterne, quand bien même je l’ai employée. Te rappelle tu censeur, tu étais préteur lorsque Danateus fut jugé, le sénateur Aemilius accusait, et je défendais ce légat qui avait été contre les consignes de ses consuls, Valerius et le regretté Tullius.
Il y avait eu dans cette affaire une incompréhension entre les deux consuls d’alors, sur le ton à donner pour le rappel d’un légat. Celui ci avait continué sa mission, malgré son rappel, et finit par être jugé pour trahison. Avec le recul, censeur, je mesure aujourd’hui le chemin parcouru, considérable, qui a fait de moi un général amer chaque jour, d’un défenseur idéaliste des droits de cet accusé.
Amer, censeur. Amer, parce que chaque jour, je découvre une réalité que seuls les soldats comprennent en revenant du front, que seuls les militaires vivent mais ne peuvent décrire. Cela ne fait pas de moi un général souhaitant pour autant en finir au plus vite avec cette campagne. Dans cette hypothèse, Croto aurait été prise en six mois. Oui six mois, censeur, parce que nous aurions écrasé cette ville par la botte que nous reprenons en ce moment. Mais cela n’aurait alors pas été nos enfants qui seraient morts, mais tout une conception de la reprise du sud que le sénat a accepté en me voyant à la tête de ses légions.
La guerre est ainsi donc faite qu’elle s’étouffe dans les poitrines comme un corps malsain dans les poitrines, pour faire des citoyens des soldats acharnés, pas des enfants. Il n’y a rien qu ‘un enfant ne puisse faire ici. D’ailleurs ceux la même sont restés à Rome, et je ne parle pas du sénat, mais bel et bien de la part d’entre nous tous ici qui fait plus que la moitié de notre humanité. Censeur, j’ai pour cette campagne manqué à ma famille deux ans, perdu un cousin, raté la naissance de ma fille Sempronia et le mariage de ma chère fille Isis. Et si je ne m’en moque pas, je n’y pense pas tous les jours, beaucoup moins que cela même. Si le sénat comprenait censeur, que nous nous dégoûtons tous parfois, à accepter de marcher dans des charniers sans faillir, ni tourner la tête, à remonter des cadavres de terres, à déblayer des monticules de membres arrachés pour enterrer nos propres morts ; cela voudrait dire qu’il serait ici même à mes cotés. Le sénat ne comprendra jamais un général en marche, aussi nos lois devront elles un jour s’adapter à cette état de fait qui dépasse le marbre pour parler de nature humaine.
Dans ce sens, je ne me suis pas ombragé de cette nouvelle ingérence du sénat et de son magistrat suprême. Pourquoi donc censeur, me demanderait tu si tu étais là avec moi à arpenter le champ de bataille, pourquoi donc je n’adresse donc plus de rapports à cet homme. Parce que cet homme censeur, et je t’en serai gré un jour de lui expliquer avec ton éloquence certaine, est resté ce que j’étais moi même en partant du sénat. Un simple gestionnaire.
Les plus farouches sénateurs s’offusqueront de ce qui s’apparente ici à une nouvelle pique de ma part, mais rappelons et prenons conscience du décalage qui nous anime. Nous avons eu tous deux la sagesse de répartir des tâches bien précises au lancement de cette campagne. Pour ses compétences indéniables en diplomatie, le consul qui m’accompagnait devait rester à Rome et mener sa politique extérieure, et je ne doute pas qu’il ait parfaitement rempli cette mission au delà de l’entendement. Aussi, j’ai plus attendu ce veto que je ne l’ai craint. Saches censeur, que cette décision, aussi arbitraire a t elle pu paraître aux quelques amis qui doivent me rester à Rome et peut être d’autres, était inévitable vu d’ici.
Ces dernières années, le sénat s’est littéralement fait endormir, et cette torpeur l’a sorti de son rôle. Aussi je devine que ce veto n’a pas plus été demandé par un sénateur que sa levée, pour la bonne et simple raison que lors de la première incartade de cette campagne, les sénateurs ont du accepter de déléguer la campagne à une querelle de coqs au sommet de la république, se serrant la main comme d’autres se déclarent la guerre.
Quand nos troupes étaient démoralisées, abandonnées par leur général Caro, et devenues paranoïaques bien légitimement par les raids tarentais dans les parages, les officiers ont arreté un légat pendant quelques heures, malgré mes ordres de mission et mon sceau consulaire. Là, aucun sénateur n’a compris ces soldats, pour accepter qu’un consul décide de rappeler immédiatement le légat, rajoutant plus de mal et d’humiliation encore. Quand je précise dans mon courrier aux tribuns que le légat Fugitivus part avec Mars III négocier, le sénat ne se doute pas encore que je ne décide pas de marcher sur la ville avec une légion, mais bel et bien de négocier la ville instable, avec moyen de pression dissuasif.
Dans l’absolu, ce veto immédiatement disparu ne changera rien, pas plus visible qu’une larme de soldat dans la pluie. Non censeur, pardonne moi cette plaisanterie, nos soldats sont comme moi, trop atrophiés par l’événement pour émettre des comportements humains digne de ce nom. Nous sommes des ombres, censeur, des ombres planifiant une attaque de Tarente, voilà donc les premiers mots que le sénat voudrait entendre s’il était devant moi. Oui, nos armées ne marchent pas en aveugle, oui, j’ai des renseignements sur l’ennemi, et oui, je sais que nous pourrons prendre Tarente avant une année. Non, je n’ai pas reçu par contre, quand le consul me reproche mon manque de communication, reçu d’informations viables sur la situation en Illyrie depuis mon élection. Car beaucoup ont du oublier que j’étais consul également, en armes, rendant des rapports que certains n’ont pas lu. Reposer des troupes, relis je encore, quand j’ai précisé que les troupes se rassemblant a Metaponte pour l’assaut final étaient constituées de légions fraîches, des dernières levées. Campagne aveugle et déraisonnée, devine je encore, quand je n’oserais pas lancer un soldat sans en mesurer le moindre risque.
Nous ne sommes plus pareil, censeur, quand les décalages se creusent entre ce front et notre suprême autorité sénatoriale, d’autres interprètent une demande comme un ordre. J’ai demandé en effet un soutien éventuel du navarque adjoint. Demandé, pas ordonné. Et le veto reposait en partie sur cette décision qui n’en était pas une de ma part. A quoi tient Rome, censeur, quand Danateus est reparti au détriment des ordres pour avoir mal interprété les mots de son consul, quand mes propres lettres ont failli bloquer une campagne pour avoir été mal comprises. Car je n’ai rien eu à lire, tu le comprends, censeur. Le consul me blâme de n’avoir pas rendu d’informations au sénat sur la campagne, quelle hérésie, quand je n’ai rien su pendant un an de notre politique étrangère et intérieure. J’ai du me renseigner par mes contacts, mes enfants, et ma famille. Suis je un homme d’honneur pour avoir accepté ceci ? aurais je du mettre mon veto pour rappeler mon existence ? aurais je du encore demander un véritable soutien dont je me moque…
Je me moque de tout sentiment qui fait les sénateurs, censeur. Actuellement je n’en suis pas un. Le sénat devrais le comprendre un beau jour, et reprendre malgré tout, voilà le fond de ma pensée, l’initiative de la politique de Rome. Seulement cette campagne n’est pas affaire de politique. Et là où de l’humanisme désuet pense bien faire en proposant de reposer nos enfants, je dis qu’il laisse les bêtes s’entretuer. Contraste volontairement violent, censeur, mais si tu lis ce courrier au sénat comme je t’y autorise volontiers, je tiendrai tellement à ce que tous les sénateurs comprennent et ressentent ne serait ce qu’une seconde ce gouffre énorme qu’ils ne peuvent combler en imaginant gérer ou interférer sur la campagne. Nous vivons dans une bulle, censeur ; en nous en sortant ne serait ce que quelques heures, vous nous rendez a ce sénat. Et vous ne rendez service, ni à nous, ni à vous.
Je démissionnerais immédiatement si le sénat souhaite encore s’immiscer dans nos plans et nos directives. J’attendrai mon successeur alors sur place, et je le laisserai mener l’assaut sur tarente. Le consul Flaminius recevra des informations dés que je serai arrivé à Metaponte dans une semaine.
Salve censeur,
Consul Dobrasus
---------------------- 75 ans
Consulaire
Membre du Parti Legaliste |